* dixit Moïsette avant que je n’embarque sur Corner Muse !
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« C’est pas l’homme qui prend la mer
C’est la mer qui prend l’homme
(…)
J’ai eu si mal au coeur
Sur la mer en furie
J’ai vomi mon quatre heure
Et mon minuit aussi
J’me suis cogné partout
J’ai dormi dans des draps mouillés
(…)
C’est la d’plaisance, c’est l’pied
Dès que le vent soufflera
Je repartira
Dès que les vents tourneront
Nous nous en allerons »
(RENAUD, C’est Pas L’homme Qui Prend La Mer)
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Puis ce fût la grande aventure. Cap au 251. Vingt jours de navigation soutenus, de Mindelo à Cayenne, à franchir l’immensité de l’océan Atlantique.
Dès le départ, Mariush a fait des siennes. Mariush, c’est l’équipier foireux, le bouc-émissaire nécessaire dans tout groupe social sur lequel on crache pour calmer ses nerfs. C’est aussi le pilote automatique de Corner Muse. Le moteur a pissé du diesel, les batteries ont été foutues parce que poussées trop loin, et Mariush a décrété qu’il n’assumerait plus ses quarts de nuit. Les deux Momos se sont donc relayées à la barre à raison de plus de 14 heures par jour, luttant contre l’éreintement, afin de faire avancer le rafiot tant bien que mal. Au début, le bateau était mis à la cape quelques heures par nuit (génois à contre, le bateau dérive doucement poussé par les vagues), parfois même également de jour, afin d’offrir un peu de repos – tout relatif, parce qu’il faut toujours assurer les observations toutes les 15 minutes – à nos deux guerrières exténuées. Mais les dix derniers jours, le bateau a filé sans halte aucune, porté par la motivation de l’équipage de se voir avancer un peu plus vite au sein de cette grande tâche bleue sur la carte du monde. Ailes de papillons (hissage des deux génois, tangonnés), hissage de la grande voile, tentatives infructueuses de mise au point de techniques pour naviguer sans pilote – à l’aide du tourmentin faisant office de gouvernail, puis par un système de sandos maintenant la barre : toutes les stratégies sont bonnes pour faire avancer la bête et tenter de ménager les pilotes.
Les journées et les nuits se sont écoulées au rythme des siestes alternées des deux Momos, ponctuées par les succulents pains perdus de Moïsette au petit matin (après son café, claaro!), les salades de lentilles, choux, fromage, les pâtes et encore des pâtes, les bains à l’eau de mer pour se rafraîchir sous la chaleur suffocante, les concerts de guitare et de djembé du capitaine, les chants « mélodieux » des deux Momos, les péripéties des pipi-cacas des deux petits « monstres », les désiratas, les joies et les peines de Monsieur le Capitaine, les points carte, la rédaction du carnet de bord et les mises au point de grandes stratégies de navigation. A vrai dire, quand les deux Momos ne s’occupent pas de l’embarcation, des tâches quotidiennes ou des adorables petits monstres à quatre mais surtout à deux pattes, elles s’écroulent d’un sommeil lourd. Il faut bien avouer que, pendant ce temps-là, nous, le genre masculin – le Capitaine [Laszlito], Tarzanito [le toutou], Mariush [le pilote automatique] et moi-même -, on se la coule douce.
Quelques évènements sont venus perturber cette routine. Les quelques dix navires aperçus au cours de la traversée constituent à chaque fois un bouleversement dans la quiétude du paysage. Les dauphins qui, par bans entiers, sont venus danser avec le voilier. Les pirates – ou du moins ce qu’on a cru être des pirates (mystère non résolu !) – qui nous ont fichu une sacrée trouille une nuit un peu glauque. Les grains qui s’abattent sans crier gare ou les vagues quand elles décident de montrer fière allure.
Les jours ont beau se ressembler, l’esprit, poussé dans ses retranchements, oscille quant à lui, d’un jour à l’autre, d’un état d’euphorie extrême à un état d’angoisse désespéré. Certains jours, on en a profondément marre de voir la mer à notre réveil. Cette immensité qui nous entoure de toute part, nous submerge, nous oppresse, nous compresse, sans offrir nul signe de finitude. Et, confiné sur cet îlot minuscule qui se meut sur la vastitude angoissante de l’océan, se conjuguent alors claustrophobie et apeirophobie. Des vagues pour seul horizon depuis des jours et des jours. Combien au juste ? Et combien en reste-t-il ? Nul ne sait, le temps semble fondu dans ce ballottement incessant qui secoue le voilier sans trêve aucune. Lequel rend toute entreprise ardue : les gestes quotidiens les plus banals comme se rendre aux commodités (petit clin d’oeil à Moïsette qui aime à raffiner son langage), cuisiner, réaliser un brin de ménage ou de rangement, demandent une énergie considérablement plus importante que dans un environnement terrien. On se met alors à rêver de terre ferme, de forêts, de montagnes, d’herbe verte, de chemins de terre, de villages, et même – chuuut…! – de bitume et de villes… Et l’on compte les jours et les miles restants.
D’autres jours – et heureusement ceux-ci sont largement plus nombreux -, on s’émerveille de cette infinité bleutée, parsemée de notes de mousse blanche, étincelante sous les doux rayons du soleil, dont les ondulations ressemblent à une danse – tantôt sensuelle, tantôt plus rythmée – ayant pour partenaire notre vaisseau. On se dit alors – parole de vélo globe-trotteur – qu’on a rarement assisté à spectacle d’une beauté aussi envoûtante. L’air pur que l’on inspire au plus profond de notre être, le vent qui nous caresse le visage, le clapotis de la houle qui nous berce doucement : tout cela participe à ce même état d’enivrement qui nous plonge tous dans un état euphorique. On se sent ne faire plus qu’un avec notre planète mèr(e). On se sent un point minuscule en plein milieu du bleu sur la carte du monde, à des miles et des miles de tout bout de vert ; mais on se sent si grand d’être là et de connaître ce bonheur.
Et ce bonheur fut si intense parce que partagé en compagnie de ce trio cornemusien aussi fascinant qu’attachant. Merci à vous, Momo, Capitaine Laszlo et Tarzanito, pour m’avoir adopté au sein de votre petite famille et pour la réalisation collective de cet incroyable défi. J’en oubliais Douille douille [chien en peluche et merveilleux compagnon de Laszlo] et Corner Muse, qui nous aura porté à bon port. En revanche, je n’évoquerai volontairement pas Mariush !
En somme. Amarrés au mouillage de Degrad des Cannes (environ de Cayenne) le 22 mars 2012, les deux Momos ont pu goûter au bonheur indescriptible qu’offrent le jet d’eau revitalisant d’une douche froide, la douceur de chaque gorgée d’une bière glacée mousseuse et une longue nuit de sommeil ininterrompue. Laszlo, celui d’accroître son terrain de jeux et son public pour assister à ses pitreries. Tarzan, celui de s’élancer sans limites dans un espace ouvert et sur un sol ferme. Quant à moi, j’ai été remonté, astiqué, huilé, dorloté et échauffé avec le plus grand soin – et non sans échapper à quelques injures dont je tairai les termes au risque de voir Momo se faire infliger une longue série d’abdos par l’autre Momo (deviner laquelle!) – et me voici donc fin prêt pour la remise en selle.
Les pédales me démangent.
Direction Brésil, l’Amazonie.
Yii haaa, c’est reparti !
Signé : DON CAMINANTE, la cébèbre monture à deux roues de Momo la Cigale
04 avril 2012, Rémire-Montjoly (env. Cayenne), Guyane française
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Bravo les filles ! Et bravo à toi Maud pour ce récit. Tu sais qu’on se souvient bien de vous trois, ici à Mindelo ?
J’espère bien qu’on n’est pas passé totalement incognito durant nos semaines à Mindelo! 😉
J’ai lu sur ton blog que tu prolongeais aussi ton séjour au Cap Vert : pas facile d’échapper à cette saudade capverdienne!
Bon, c’est pas tout mais tu en ai où ? Ça manque de mise à jour sur ce blog moi je dis !
Je travaille dur à essayer de mettre à jour ce blog… Faut dire que moi je me la coule pas douce dans un voilier tout confort avec ordi et connexion à disposition! 😉
Bref, avec tout ça, t’en es où ? Franchi le pas de la traversée? Je viens de voir sur ton blog que tu avais opter pour garder les tongs au détriment des quarantièmes rugissants et des cinquantièmes hurlants. Du coup, c’est le premier arrivé de l’autre côté du canal de Panama qui a gagné, c’est ça? De mon côté, je suis à Sao Paulo et m’apprête à partir en direction de la Bolivie.
Bises cyclo cigalesques!
Merci pour tes nombreux et si interessants commentaires. Quelle aventure… C’est passionnant mais cela nous fait encore froid dans le dos en y repensant. Mais toutes mes félicitations pour ton courage et ton enthousiasme.
Nous espérons que ton séjour avec ta maman se passe pour le mieux.
A très bientot sur mail. Et mille gros bisous à vous deux. Ati.
Merci beaucoup pour ce récit mouvementé, passionnant, plein d’humour et bien écrit, ce qui ne gâte rien. J’espère que vous avez pu récupérer de toutes vos fatigues et que tu nous tiendras au courant de la suite de tes aventures.
Bien amicalement. Marie-Jo
C’est bon, je pense avoir récupéré de la fatigue de la traversée… enfin, j’attendrai encore quelques mois avant d’entamer la traversée du Pacifique! 😉
Cousine, c’est super ce que vous avez fait ! Contente de vous savoir saines et sauves surtout 😉 On t’embrasse et attendons la suite…, un jour au Brésil…! Gros bisous
Patience, la suite arrive…!
Gros bisous cousinette!
Super recit pour une superbe traversee – a te lire, on ressent la magie et la crainte de l’ocean. Bravo a tout l’equipage. On t’attend avec impatience a la maison. beijo do seu pai! JF
J’arrive bientôt à Sao Paulo, les parents… histoire de vous voir avant que vous n’en repartiez!
Préparez le bain à bulles, des bons petits plats, un bon lit, … et une connexion Internet pour mettre mon blog à jour!
Momo
Ouaiiiiis ! Elles l’ont fais !! Bien joué 🙂 Bravo, ce monde a besoin de guerrières comme vous !
Et merci pour tes explications pratico-pratik, ça m’donne envie de fabriquer des bb et de les embarquer pour une grande traversée 😉 Enfin je devrai attendre qu’il y en ait au moins 1 en âge d’être capitaine bien sûr ( 15 mois c’est bien ça ?) …
gros bisous à bientôt
laeti
Le monde, si l’on veut penser a un quelconque changement, a effectivement besoin de femmes qui refusent de se faire enfermer dans un carcan machiste, manifeste ou latent, mais malheureusement infestant les quatre coins du monde. Au fur et à mesure de ce voyage en tant que femme seule, mes convictions féministes se sont trouvées en pleine ébullition… cela mérite un article sur mon blog – en cours de préparation!
« Women are heroes »
Bises mulher!
PS : Et pour une traversée avec tes futurs bébés, laisse-moi un temps de réflexion pour voir si je postule comme équipière! 😉
Hola Momo,
Je viens de lire ton récit avec délectation. Merci pour le partage !
Mon aventure commencera début juillet et passera sans doute par quelques repères similaires au tiens… J’espère qu’on se croisera avant… mais j’en doute.
As tu déjà une date de retour ?
Plein de bises et de pensées envieuses,
Oli M
Oi Oli!
Super d’avoir concrétisé ton départ! Hésite pas à m’envoyer un mail avec tes projets, histoire que je te file les conseils et bon plans dont je dispose, notamment pour le bateau-stop si t’as tjs cette idée là en tête.
Plein de bisous et courage pour la dernière ligne droite de prépa voyage,
On se croise donc quelque part sur les chemins du monde – de mon côté, je suis pas pressée de rentrer! 🙂
Wouah…. Ca me fait plaisir de voir que vous êtes tous bien arrivés et que vos aventures respectives continues. Ta vision des choses m’interpelle mais la manière dont tu la racontes me fascine. Bien content d’avoir croisé la route du corner muse, plein de bons souvenirs en votre compagnie.
La fourmi ne s’attendait sûrement pas à ça…
Bon courage pour la suite et bonne route à travers l’amérique.
Cool d’avoir de tes nouvelles! Je n’ai honteusement pas encore pris le temps d’envoyer des news aux chouettes rencontres faites au Cap Vert. Figure-toi que j’ai retrouvé Aude et Karim alias Maxwell à Capao (village néo-hippie dans l’Etat de Salvador) où je suis actuellement!
Pour rebondir sur ce que tu disais : ma vision des choses quant au Cap Vert ou quant à la navigation? En quoi ça t’interpelle? Hésite pas à me contre-argumenter, hein! 😉
Bises!
ola Maud, tudo bem?
super ton blog, et bien agréable à lire. Adhésion complète à ton action « féministo-féminine », j’espère qu’elle sera beaucoup relayé, et que ça fera plein d’émules…
Bon courage pour la suite de l’oeuvre!
beijos
Zoé (on s’est rencontré à Lençois chez Némo)
En parlant d’action féministo-féminine, j’ai participé il y a peu à une manifestation féministe organisée à l’occasion de la Conf des Nations Unies Rio+20 et autant te dire que le mouvement féministe latino-américain a une sacré gnaque! Il y a de quoi certes, lorsqu’on voit la dictature de la testostérone qui sévit ici (et sur toute la planète, soit-dit en passant).
Salut Maud,
merci pour tes nouvelles enrichies de photos superbes et de commentaires qui te transportent loin de ce monde morose et si triste, pour tout cela merci!
Et maintenant un grand bravo! ta maman a beaucoup de chance et peut être fière!
J’attends la suite avec impatience, tu sais comme un enfant attend la suite d’une histoire au fond de son lit avant de s’endormir, et qui rêve d’aventures incroyables.
je t’embrasse
Françoise
La suite ne devrait pas trop tarder à arriver… Plein d’aventures incroyables à travers le Brésil et la Guyane pour que tu puisses t’endormir transportées par l’ensorcellement du voyage!
Gros bisous depuis Sao Paulo, ou je profite pour me faire un peu dorloter par les parents !
Je fais un arrêt sur ton blog cet aprèm et que ca fait du bien. Tes récits donnent envie de venir te rejoindre et de t’applaudir. Que c’est beau ! Merci de me faire rêver. a bientot cousine 🙂
Viens donc me rejoindre! Besos cousinette!