Le Salar d’Uyuni en deux roues, entre supplice tortueux et magie envoûtante (août 2012)

« C’est toujours dans le désert que l’on casse sa bouteille d’eau », Louis SCUTENAIRE (poète et écrivain belge)

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Le Salar d’Uyuni.
Vaste désert de sel situé au sud-ouest de la Bolivie couvrant une surface de plus de 12 500 km² et doté d’une couche de sel d’environ 5 mètres. Résultat de l’assèchement du lac Minchin 10 000 années auparavant, il représente aujourd’hui un tiers des réserves de lithium exploitables de la planète, source de convoitise des multinationales.

Depuis que j’avais découvert le Salar d’Uyuni par le récit imagé de cyclovoyageurs, le sillonner en deux roues était devenu un rêve un peu fou. Un peu fou car il n’était pas dépourvu d’une certaine angoisse qui accompagne ces inconnus dont on ignore la grandeur et la faisabilité exacte. D’autant plus que l’imaginaire populaire bolivien en véhicule une image mythique embrumée d’une certaine crainte : « Vous êtes complètement inconscientes d’envisager une telle traversée, deux femmes, à vélo et sans guide ! Le Salar garde en son sein les imprudents ! ». Cette appréhension fut néanmoins contrecarrée par des lectures et une préparation minutieuse qui ont permis de démystifier cette traversée ainsi que la présence à mes côtés, outre de Moa, d’Andrea, un cyclovoyageur italien rencontré sur la route avant la ville d’Oruro, adepte de cyclovoyages extrêmes pour occuper ses vacances d’été.*

Andrea

Moa & Mwa ! 😉

Ce qui devait être l’apothéose dans la jouissance de la confrontation à une nature grandiose et sauvage fut un véritable supplice. Deux jours avant de parvenir à l’entrée du désert de sel, une petite fièvre grippale est venue me titiller. Je l’ai combattue tant bien que mal. La veille de notre entrée au Salar, alors que les tambours battaient le rythme des événements tant attendus, de violentes crampes à l’estomac m’ont empêchées de fermer l’œil de la nuit : des perturbations intestinales et de terribles douleurs menstruelles se sont alliées pour m’en faire baver un maximum. Ne croyant pas dans les signes du destin (eh oui, vaste débat, et je sais que ma position en déçoit plus d’un!), j’ai maintenu ma décision de m’attaquer au Salar le lendemain, malgré la fatigue et la douleur qui m’assaillaient, désirant profiter de la présence de mes deux compagnons de route. Une heure après notre plongée dans l’immensité blanche, nous avons réalisé que nous étions sur une route erronée : les indications d’un villageois nous avaient fait suivre des traces de jeeps qui nous éloignaient des reliefs de l’île Incahuasi.

Nous avons donc entrepris de couper à travers tout pour rectifier le tir. Le revêtement rugueux m’a secouer les tripes comme une machine à laver infernale. L’éclat éblouissant de la lumière réfléchie par le sel blanc est venu assaillir ma vue, passant outre mes lunettes de soleil. Début de crise migraineuse. J’arrête tout et elle finit par s’apaiser, m’abandonnant toutefois à un horrible mal de crâne.

Ultra protection des yeux face à l’agression de la lumière

De toute façon, fulminais-je, c’est toujours comme ça, un truc qui flanche et tout s’allie contre soi. J’aurai pesté envers et contre tout. Cet enfoiré de désert de sel qui n’a rien à offrir que du blanc et une route cabossée. Cette saleté de condition féminine [le lecteur notera toutefois que je veille en toutes circonstances à bannir les insultes à connotation machistes de mon langage]. Ce corps de mauviette qui faiblit alors que ce n’est vraiment pas le moment. J’ai vociféré contre les cyclistes qui m’avaient raconté que la traversée du Salar était une balade du dimanche et sans doute « la meilleure surface que la Bolivie puisse offrir aux cyclistes » (petit clin d’oeil au document dont je parle en fin d’article). Et je dois même avouer que j’ai maudit ce voyage à pousser sur des pédales comme une conne. Seuls Caminante et mes compagnons de route auront heureusement été épargnés. Vous me direz, ils se sont tenus à carreaux. Caminante n’a pas flanché (c’eut été le comble !). Et j’ai prié aimablement – oui, aimablement – mes compagnons de route d’avancer pour me laisser seule avec ma mauvaise humeur. Moa était déconcertée, elle ne m’avait jamais vu sortir de mes gonds, moi qui assure toujours un parfait self contrôle. Ils m’ont donc gardé dans le coin de leur rétroviseur tandis que nous avancions vers l’île Incahuasi. Une progression interminable à travers une étendue blanche infinie, la perception des distances étant tronquée. Du blanc, rien que du blanc à perte vue. Une vertigineuse sensation de l’infini. Telle l’apeirophobie éprouvée au milieu de l’océan Atlantique. Accostant à l’île Incahuasi au soleil couchant, je m’effondre, tel un naufragé esquinté par une nage interminable pour atteindre un bout de terre salutaire.

Le lendemain, comme convenu, Moa et Andrea disparaissent en direction de Colchani, engloutis par les flots blancs. Celle qui avait été une merveilleuse compagne de route durant ces deux derniers mois voyait la fin de son voyage approcher et entendait se diriger rapidement vers Buenos Aires pour prendre un vol qui devait la ramener en Suède. Andrea entendait poursuivre son périple par l’est. Quant à moi, je rêvais d’une route des lacs située dans les déserts au sud du Salar. Sauf qu’à ce moment là, je ne rêvais plus de rien sauf de repos. Leur départ me laissa un grand vide.


L’île de corail d’Incahuasi. 
Décor qui semble tout droit émergé de fictions fantastiques avec ses cactus millénaires géants. Un îlot de surréalisme flottant dans un océan blanc. C’est là que j’ai rencontré un des personnages les plus étonnants qu’il m’ait été donné de connaître.

Don Alfredo

Don Alfredo. Celui-ci a commencé à habiter sur les « îles » du Salar en 1987, fasciné par les énergies de ce lieu. Pendant des années, il a vécu dans des grottes et entreprenait une fois par semaine l’aller-retour à vélo jusqu’au village le plus proche – situé tout de même à une cinquantaine de kilomètres – pour se ravitailler en eau et en nourriture. En 1992, il s’est installé sur l’île d’Incahuasi, en réponse à la demande du gouvernement de veiller à la protection de l’île et à l’accueil des touristes, en échange de l’octroi d’une co-propriété de l’île. Celle-ci est aujourd’hui un des points d’orgue du tourisme bolivien. En souvenir à ses chevauchées d’antan, il accueille aujourd’hui les cyclistes et autres voyageurs non motorisés. Seuls ceux-ci ont le droit de passer la nuit sur l’île. J’ai eu l’honneur d’un dîner en tête à tête avec Don Alfredo au cours duquel il m’a « ensorcelé » avec tous ses récits ! J’ai soigneusement rempli un des nombreux carnets dans lequel il récolte comme autant de trésors les témoignages des voyageurs ayant fait escale chez lui.

Le jour suivant, j’ai pris une grande inspiration avant d’enjamber Caminante (mon vélo, pour ceux qui débarquent) et de nous lancer dans l’océan blanc – non sans avoir au préalable requis confirmation de plusieurs sources quant aux repères à suivre ! La journée fut merveilleuse, et ce malgré les bourrasques d’une violence inouïe qui m’ont empêché de tenir sur mon vélo lors des derniers kilomètres. J’étais réconciliée avec le Salar d’Uyuni. Don Alfredo était parvenu à me faire entrer en communion avec les énergies intenses qui habitent ce lieu au point d’être envoûtée par sa magie. L’envoûtement n’a néanmoins pas opéré au point de me livrer à une séance de photo nudiste seule en plein milieu du Salar, que j’avais ouï dire comme étant un « must » du cyclovoyageur ! Le soir, non lassée de tout ce sel, j’ai même logé dans un hôtel de sel – particularité bolivienne que ces hôtels dont les murs, les lits, les tables et autres mobiliers sont construits en briques de cette matière.

Hôtel de sel de Chubica

Bref, le Salar d’Uyuni, entre supplice tortueux et magie envoûtante, je ne suis pas prête de l’oublier. Accourez-y, ça en vaut le détour – et les éventuels « minuscules » inconvénients !

Somos guerrera/os ! (l’hymne de ces derniers temps)

Moa, Andrea & moi

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Site internet d’Andrea (en italien!) : http://www.andreadegruttola.net

2 réflexions au sujet de « Le Salar d’Uyuni en deux roues, entre supplice tortueux et magie envoûtante (août 2012) »

  1. ce n’était donc pas la suite, mais un épisode précédent. J’avoue que je ne répondrai pas à ton invitation de découvrir ces lieux de rêve ou de cochemard: cen’est pas seulement une question d’âge; mon goût de l’aventure s’est toujours révélé assez limité. Encore merci de nous permettre de partager tous ces instants de ta vie. Bisous amicaux.

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