DES MINES D’OR !
Le nord-ouest andin, de la province de Jujuy à celle de Mendoza, sillonné en descendant la célèbre route 40 qui traverse l’Argentine du nord au sud, c’est avant tout et surtout truffés de mines d’or.
D’or, comme le soleil éclatant qui règne sur cet environnement sec et aride. D’or, comme ces paysages époustouflants aux courbes torturées ou se dressent des montagnes aux couleurs ocres et s’étendent des déserts peuplés de cactus « cardón ». D’or, comme le cœur de ce peuple attachant, curieux, accueillant et enjoué. Qui tente de concilier ses racines traditionnelles amérindiennes face à la prégnance de la modernité européenne dans la construction de l’identité argentine. La culture amérindienne est ici davantage présente qu’ailleurs, avec notamment une mise en valeur de l’artisanat traditionnel et des sites archéologiques précolombiens. La mise en valeur touristique de ces derniers est souvent gérée par les communautés amérindiennes elle-mêmes (ruines de Quilmes, ruines de Shinkal). Ces dernières participent, par un système de co-gestion avec les autorités municipales, à la gestion politique de plusieurs municipalités.
Et tout cet or donc, est abondamment arrosé de ce breuvage succulent fait de « gouttes d’or », « fils étoilé de la terre », comme le vénère le poète chilien Pablo Neruda. Cafayate, Mendoza, San Juan, La Rioja : autant de noms célèbres pour les amateurs de vins !
DES MINERAIS : PROJETS D’EXPLOITATION ET CONTESTATIONS
Mais voilà, à côté de ces mines d’or au sens figuré, il y a celles au sens propre, regorgeant également de cuivre, d’argent, de lithium et d’uranium. Source de convoitise des investisseurs étrangers et nationaux, l’exploitation de ces mégas-projets miniers fait face à de vifs mouvements d’opposition civile. Pour n’en citer que quelques uns aperçus en cours de route : Bajo La Alumbrera et le malnommé projet « Agua Rica » (eau précieuse) dans la province de Catamarca, le gigantesque projet Pascua Lama, à cheval entre les territoires argentin (San Juan) et chilien, et le site de Famatina (Rioja), théâtre d’un mouvement de contestation populaire emblématique.
« Famatina no se toca ! »
J’ai donc fait un crochet pour aller jeter un coup d’œil à ce dernier. Les habitants des villages de la municipalité de Famatina se relayent depuis janvier 2012 pour assurer un blocage permanent, de jour comme de nuit, des voies d’accès au projet minier, qui devait se développer sur le Nevados de Famatina. Le conflit remonte à 2006 lorsque la population locale est parvenue à faire échouer le projet d’exploitation minière par une firme canadienne (Barrick Gold) et plus tard, par une firme chinoise. Aujourd’hui, c’est une autre firme canadienne, Osisko Mining Corporation, qui s’intéresse aux ressources du coin.
En apprenant l’accord signé entre cette dernière et les autorités étatiques, les habitants se sont mobilisés. Organisés en « assemblées citoyennes », ils ont mené des campagnes d’information, notamment par la création d’une radio communautaire et culturelle, et ont recours au moyen d’action « directe » que constitue le blocage des voies d’accès. Leur mot d’ordre ? « Famatina no se toca » (Ne touchez pas à Famatina) et « el agua vale mas que el oro » (l’eau vaut plus que l’or). Ils dénoncent des pratiques qui pillent les richesses nationales et sabotent l’environnement : destruction des reliefs (les mines à ciel ouvert supposent un dynamitage des montagnes) et des écosystèmes locaux, asséchage et pollution des ressources hydrauliques, contamination des populations et répercussion sur la principale activité économique de la région, l’agriculture.
Dans la municipalité de Famatina, le mouvement d’opposition à l’exploitation minière rassemble une large part de la population locale, soutenus par des militants écologistes d’autres régions venus en renfort lors du pic des tensions en janvier de cette année. Ce large soutien populaire local ne semble pas toujours avoir été de mise sur les autres sites soumis à des projets d’exploitation minière. Les communautés locales se retrouvent alors déchirées entre ceux qui soulignent les retombées positives en termes d’emploi (souvent bien rémunérés) et de développement de régions fragiles, et ceux qui dénoncent une vision à court terme : ces mines étant vouées à être exploitées sur une période limitée alors qu’elles génèrent des catastrophes environnementales durables.
Les militants dénoncent les méthodes corrompues utilisées par les firmes qui rémunèrent et font miroiter des embauches à ceux qui les défendent. Le mouvement de protection du Nevados de Famatina bénéficie du soutien du maire et du célèbre curé du village. Il converge dans une union nationale des mouvements d’opposition aux projets miniers, l’Union des Assemblées Citoyennes (UAC). En revanche, la firme Osisko Mining Corporation bénéficie quant à elle, d’alliés de poids : le gouvernement de Cristina Kirshner, qui voit dans le secteur minier un des fers de lance du développement du pays, et le gouverneur de La Rioja, qui a changé son fusil d’épaule une fois porté au pouvoir.
Pour l’instant, à Famatina, quand j’y suis passée en ce mois de novembre 2012, c’était le calme plat. Retrait de la firme ? Révision du projet d’exploitation ? Stratégie d’usure des opposants ? « Il faut rester vigilant, ce calme ne laisse présager rien de bon » m’assure un militant. Bref, gardons un œil attentif sur la suite des péripéties de cette lutte populaire exemplaire.
ET DES MINES !
En revanche, le nord-ouest argentin aura été également synonymes de quelques mines, de celles sur lesquelles j’aurais préféré ne pas poser le pied.
Depuis le début de mon voyage, j’ai été frappée par le sentiment de peur qui habitent les Hommes. Partout, au vu de ma condition de femme voyageant seule à vélo, les locaux m’ont mise en garde, me contant milles et unes anecdotes des plus terrifiantes. J’ai appris à gérer ces élans de frayeur, tentant de dissocier dangers réels et emballement populaire, événements malheureux ponctuels et statistiques révélatrices d’insécurité. Dans le nord-ouest argentin, force est d’avouer que la tâche m’a été plus ardue. Sans doute parce que plusieurs des histoires contées étaient récentes, visaient des touristes, des femmes et des cyclistes. Sans doute aussi parce que j’ai enchaîné les pépins avec les hommes argentins. Rien de grave : des hommes lourds, extrêmement insistants, souvent alcoolisés, ce qui n’aide pas à entendre mes refus. Des gars un peu paumés certes, mais aussi des gardiens, des flics, des pompiers. Quelques nuits de sommeil troublées par l’angoisse. L’ampleur de ces incidents a sans doute été gonflé par ce sentiment d’insécurité ambiant entremêlé dans un profond malaise social, qui hantent ces régions du nord les plus « pauvres » du pays.
Parce que vous me demandez des anecdotes qui font « peur »…
Je me suis tout de même trouvée réveillée une nuit à 4h30 du matin par quelqu’un qui secoue ma tente. « Police ! Sortez immédiatement ! » J’ouvre les yeux brusquement. Soit c’est les flics, me dis-je, et c’est forcément mauvais signe vu qu’on ne peut pas leur faire confiance. Soit c’est un leurre du gardien, et c’est encore plus mauvais signe.
Le gardien de la zone municipale de camping des ruines Shinkal m’avait fait des propositions plus qu’insistantes ce soir là quand j’étais partie pour m’écrouler dans les bras de Morphée. Devant mon refus glacial, il m’avait demandé où avait disparu le gars avec qui j’avais bu un coup, insinuant qu’il n’était plus là pour me protéger. Le gardien était resté faire des rondes autour de ma tente, me fixant du regard, alors que je me trouvais isolée de la seule autre tente se trouvant dans la zone de camping. Pas rassurée pour un sou, j’ai empaqueté mes affaires à la va-vite, sous les interrogations malsaines de l’importun, pour déménager ma maison à quelques centimètres de celle de l’argentin avec qui j’avais passé la soirée. Le gardien m’a sommé de décamper, arguant qu’il ne s’agissait pas d’une zone autorisée au camping à cet endroit là. Je l’ai envoyé balader.
4h30 du matin donc et la « police » ou du moins quelqu’un qui se fait passer comme tel qui me somme d’ouvrir ma tente. Pantalon long, veste, fermée. Bombe lacrymogène dans une poche, couteau dans l’autre. Mémorisation des techniques de self-défense. Enregistreur enclenché.
[Là, c’est le moment plein de suspense où vous tremblez de peur. En tout cas, c’était un peu mon cas.]
J’entends mon voisin de tente demander au trouble-fête son numéro d’identification et ce dernier l’envoyer balader. Au moins, je ne suis pas seule, pensais-je, quelque peu soulagée. Je fais glisser la fermeture éclair. Dehors, un flic se tient debout, le torse bombé, l’air arrogant. A côté de lui, le gardien du camping, la lampe de poche éblouissante pointée sur mon visage. Ali, l’argentin sympathique, la caméra à la main, me fait signe qu’il filme la scène. Tournez !
« Mademoiselle, vous êtes dans une zone non autorisée pour le camping, je vous prie de déplacer immédiatement votre tente dans les zones autorisées, assène l’agent de garantie de l’ordre public.
Je cligne des yeux, frotte mes paupières, afin de me laisser quelques secondes de réflexion.
– Écoutez, lui dis-je, il est 4h30 du matin : pourquoi me réveiller à cette heure ? Cela ne pouvait pas attendre demain matin ?
– Je suis venu à la demande de Monsieur untel, gardien du camping municipal , qui m’a fait part de votre refus d’obtempérer au règlement.
– Monsieur untel, gardien du camping municipal, m’a fait des propositions plus que douteuses et plus qu’insistantes ce soir. Il est resté rôder autour de ma tente et…
– C’est pas vrai, c’est une sale menteuse, elle raconte que des conneries ! se défend le gardien.
– …et par conséquent, je me suis vue contrainte de bouger ma tente à une heure du matin pour éviter de me retrouver dans une situation d’insécurité. Réjouissez-vous que ce ne soit pas plutôt pour motif d’agression sexuelle que vous soyez venu ce soir. Maintenant, laissez-moi dormir, il est 4h30 du matin, je suis crevée, je décamperai de cette zone de camping demain matin, non sans avoir fait part au préalable à la municipalité de l’agissement de ses agents municipaux. D’ici là, je vous invite à monter la garde pour vérifier que personne ne fasse intrusion dans ma tente. »
Ou quelque chose dans le genre, en certainement moins grandiose vu qu’il était 4h30 du matin et qu’on est toujours plus valeureux quand on raconte les histoires après coup. En tout cas, cela a fonctionné. Probablement que la présence et la caméra d’Ali y ont joué pour beaucoup. Je ne sais pas non plus quelles étaient les relations de connivence entre le flic et le gardien. Toujours est il que le flic est parti en me sommant de quitter les lieux le lendemain matin et que nous avons pu finir notre courte nuit – en ne dormant toutefois que d’un œil, au cas où notre ami le gardien aurait eu l’heureuse idée de nous jouer un autre tour de mauvais goût.
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Sur ces entrefaites, j’ai donc cherché activement des compagnons de voyage parce que je me voyais un peu trop sur la défensive dès qu’un homme approchait dans un rayon de moins de 100 mètres à la ronde ! C’est là que j’ai contacté Marie et Oliv, mais ça, c’est pour le prochain épisode, celui de l’épique traversée de la cordillère des Andes.
La CicloCigale, en Argent(m)ine, la mina (« fille » en argot argentin) qui garde bonne mine malgré une année de vieillesse supplémentaire ! 😉
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Le nord-ouest argentin en images, pour que vous voyez que ce qui prédomine, c’est surtout une région en or !
(vous pouvez gérer le défilement des photos avec les boutons « pause » « suivant » « précédent » qui apparaissent lorsque vous faites passer la souris sur le diapo)
j’applaudis! et je te souhaite un heureux noël et une année 2013 riche en images et voyages… pour notre plus grand plaisir! et pas de « coup de pompe » pour caminante.
Bonjour chère aventurière,
Ton récit fait rêver ou peur au tonton Nanard, selon les moments mais dans tous les cas suscite mon admiration pour ce que tu es entrain d’accomplir.
Il ne me reste qu’à te souhaiter d’excellentes fêtes de fin d’année la-bas avec plein de belles rencontres.
TOUS MES VOEUX POUR 2013 et à… bientôt
Grosses bises
Amuses-toi bien et joyeuses fêtes !
Bisous
Encore une belle étape qui nous transporte sur l’autre continent. Mieux vaut l’eau que l’or : on n’en parle toujours dans d’autres lectures…
Joyeux Noël et vive l’aventure.
Bises
Salut à toi belle aventurière ! Ça faisait longtemps que je n’avais plus lu de tes nouvelles : quel plaisir de voyager par procuration grâce à toi ! Ça donne envie de repartir de te lire …
Prends soin de toi et joyeuses fêtes de fin d’année !
Je voulais quand même que mon prof de mécanique sache que je suis devenue une vraie pro de la mécanique vélo… ou presque! J’ai passé la journée à prendre soin de Caminante et le pauvre n’a pas été épargné de gueulantes : de quoi te rappeler quelques souvenirs! Belle année à toi!
comme disait Jacques: « je vous souhaite des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns » … ostie de criss! c’est qu’elle nous en a réalisé un bon là ! 😀
jsuis à qqs milliers de km de toi à la verticale, et c donc de Montréal que je t’envoie plein de bisous 🙂
ps= tu dois savoir qu’à chaque fois que jme sens redevenir un peu trop fourmis je viens ici nourrir mes futurs projets 😉 merci la cyclo-cigale !
Merci à toi pour cette belle citation de notre cher Brel!
Comment s’annonce la révolution cyclo cigalesque depuis Montréal?
Belle année à toi Laeti!
Coucou! Famatina et Pascua Lima, 3 ans après, restent malheureusement dans l’actu… La société civile ne doit jamais baisser les bras ! http://chroniquesdebuenosaires.hautetfort.com/archive/2015/05/07/rodeo-ou-la-malediction-de-l-or-5617629.html
Merci pour ces nouvelles de là-bas!
La lucha sigue! El agua vale más que el oro = l’eau vaut plus que l’or, comme ils ont si bien compris à Famatina!