Acte I – De Santiago à la région des lacs chiliennes, un Chili en quête historique et identitaire

« L’histoire est à nous et ce sont les peuples qui la font », Salvador ALLENDE (lors de son dernier discours, Radio Magallanes, 11 septembre 1973)

– – –

Certains osent râler parce que mon blog ne serait pas tout à fait à jour.

Certes, j’admets que plusieurs d’entre vous m’ont demandé si j’étais demeurée bloquée dans l’étreinte de Valparaiso (ceux-là n’ont pas compris l’utilité de l’onglet « où suis-je ? » sur mon blog ! ;-), alors que je me trouve à quelques 2700 kilomètres au sud !

Une petite mise à jour s’impose donc. Synthèse de ces deux derniers mois et demi, de Santiago du Chili à El Chaltén en Patagonie argentine, en trois actes.* Accrochez-vous, le premier acte est très focalisé « politique » !

* M’étant fait volé mon appareil photo, vous devrez vous contenter des images glanées ailleurs, notamment auprès de mes compagnons de voyage.

Itinéraire Argentine et Chili (28/02/2013)

– – –

ACTE I : DE SANTIAGO A LA RÉGION DES LACS CHILIENNE (décembre 2012), UN CHILI EN QUÊTE HISTORIQUE ET IDENTITAIRE

– – –

SANTIAGO (1/2) : LE MOUVEMENT ÉTUDIANT CHILIEN

1669EducationChiliDans la capitale chilienne, j’ai retrouvé Miguel, militant rencontré lors du Sommet des Peuples à Rio de Janeiro. Il fut actif au sein du mouvement étudiant chilien qui, d’avril à novembre 2011, a connu une  mobilisation d’une vivacité et d’une ampleur considérables. La cible : le système éducatif privatisé chilien, hérité de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). Les frais de scolarité des universités chiliennes sont parmi les plus élevés au monde, en regard au niveau de vie, ce qui contraint les étudiants à s’endetter lourdement. Le mouvement étudiant réclame une refonte du système éducatif dans son ensemble et un retour à un système éducatif public de qualité.

Plus d’infos ?
« Le mouvement étudiant chilien » – dans : Chili : Etats des lieux, état des luttes (1/3), Le Monde Libertaire, n°1669, avril 2012 : http://www.monde-libertaire.fr/education/15592-le-mouvement-etudiant-chilien-chili%E2%80%88-etat-des-lieux-etat-des-luttes-1/3

Panul

SANTIAGO (2/2) : SAUVONS LE PANUL !

Miguel milite également au sein du réseau Defensa de la Precordillera qui réclame que l’espace du Panul, dernière forêt native de Santiago, soit transformé en parc public afin de le protéger face à la menace de destruction orchestrée par un mégaprojet immobilier. Cette zone naturelle de 540 hectares située à la lisière de la ville en constitue son poumon vert. Doté d’une richesse considérable en termes de biodiversité – on y recense entres autres trois espèces d’arbres protégées, cet espace assure également la fonction de barrière naturelle face aux inondations qui menacent Santiago. Pour la perspective historique, ce territoire appartenait à l’Etat mais fut cédé aux mains d’un entrepreneur privé, Vicente Navarrete, ami personnel de Pinochet, lorsque ce dernier était au pouvoir. L’heureux propriétaire entend détruire 200 hectares de forêt pour construire 1300 logements.

Le Réseau Défense de la Précordillère réalise un travail à différents niveaux : juridique d’une part, afin d’obtenir l’inscription de cet espace en parc public, lequel serait géré sur une base communautaire ; de terrain d’autre part, par la surveillance de l’espace et l’aménagement des sentiers ; d’éducation à l’environnement, par l’organisation de ballades au sein de la forêt du Panul et des animations diverses, notamment menées dans les écoles auprès de jeunes publics.

Pour l’anecdote : lors de notre randonnée dans le Panul, nous nous sommes retrouvés face à un début d’incendie d’origine clairement criminel, que la pluie avait probablement freiné et que nous nous sommes empressés d’achever d’éteindre ! Prise des coordonnées gps, clichés photographiques, contact du réseau militant et des autorités policières. Cet incident n’est pas isolé  : plusieurs incendies ont été éteints grâce à la mobilisation des habitants et du réseau au cours de ces dernières années, sans qu’aucune enquête juridique ne parvienne à dénicher les fauteurs de trouble.

Au-delà de l’objet de la lutte en tant que tel, ce mouvement traduit un processus d’appropriation collective des débats publics qui gagne la société chilienne : d’un bout à l’autre du pays, les citoyens contestent, se mobilisent, s’organisent et proposent des alternatives. Face à une politique de droite « dure » menée par le gouvernement de Sebastian Pinera, surnommé « le Berlusconi chilien ». Et dans un pays toujours marqué par la dictature de Pinochet.

– – –

violeta parraJ’ai profité de mon passage dans une grande ville pour faire le plein culturel : expo d’art moderne ; expo des oeuvres plastiques de la chanteuse folklorique chilienne Violeta Parra**, pionnière de la chanson engagée ; visite du Musée de la Mémoire consacré aux crimes commis lors de la dictature de Pinochet. Dynamisme culturel et politique, possibilité de trouver du matériel cyclo introuvable ailleurs : voilà bien les seuls atouts qu’ont à m’offrir les grandes villes sur ma route. Pour le reste, elles se ressemblent toutes de par le monde : gigantesques, inhumaines, oppressantes, stressantes, contaminées et menaçantes. Je m’en enfuis, attrapant un bus pour Temuco (j’évite ainsi un tronçon pénible et peu intéressant à vélo), où m’attendent Marie et Olivier de la Dring Team !

– – –

LA RÉGION DES LACS CHILIENNES

Le majestueux volcan Villarica

Le majestueux volcan Villarica – Photo : Dring Team

La région des lacs : entre bois, cascades, lacs, volcans et montagnes… russes version chilienne : ici, les pentes sont sacrément raides ! Et pour mettre un peu de piment supplémentaire, la pluie aussi est au rendez-vous !

moi a velo

Auteur : Dring Team

Les vélos des Dring Dring décorés en sapin de Noël

 

maison

Currarehue

La soirée de Noël fut festoyée dans le village Mapuche de Curarrehue en compagnie des Dring Dring. Moralité de la soirée : avec un verre dans le pif, une journée de bicyclette dans les gambette et un réchaud de camping boiteux, ce n’est pas le moment de prétendre prouver que les frites belges sont les meilleures, une fois ! Bilan: une cuisse brûlée, une bonne leçon et beaucoup d’éclats de rires !

– – –

NELTUME, L’HISTOIRE OCCULTE :
ALLÉGORIE D’UN PAYS EN QUÊTE HISTORIQUE ET IDENTITAIRE

C’est dans la région des lacs, à la frontière avec l’Argentine, que se niche le petit village de Neltume, dont l’histoire chaotique et fascinante est une allégorie à l’image de celle du pays.

hotes a neltume

Angelica et Omar – Photo : Dring Team

L’histoire du village m’a été relatée par Angelica et Omar, porteurs du projet de Musée communautaire de Neltume (et qui nous ont généreusement ouverts les portes de leur maison), ainsi que par Don Julio, ancien président de l’Assemblée des voisins, persécuté et exilé politique lors de la dictature de Pinochet.

Le village de Neltume a été fondé dans les années cinquante par des ouvriers venus travailler dans le domaine du bois, pour le compte d’entrepreneurs et grands propriétaires terriens. Neltume, en langue mapuche, signifie « aller vers la liberté ».

Musée communautaire de Neltume

Musée communautaire de Neltume

Salvador Allende, président socialiste du Chili, 1971-73

Salvador Allende, président socialiste du Chili, 1971-73

Lors de l’arrivée au pouvoir de Salvador Allende et de l’Unité Populaire en 1971, un processus de nationalisation des ressources naturelles fut lancé. Dans ce cadre, l’Etat récupéra les entreprises de bois autour de Neltume, détentrices d’immenses espaces naturels, sur base d’un processus d’expropriation indemnisant les propriétaires. L’ensemble de ces entreprises furent regroupées au sein d’une seule : le Complexe bois et  forêts de Panguipulli. Celui-ci représente une expérience réussie de cogestion étatique et syndicale durant les trois années ayant précédé le coup d’Etat : l’Etat en était propriétaire tandis que l’administration revenait aux travailleurs. Dans cet élan de réappropriation collective, les communautés Mapuches présentent sur le territoire municipale récupèrent une partie de leurs terres ancestrales.

memorial_neltume

Mémorial aux 70 victimes de la dictature, travailleurs du complexe forestier de Panguipulli : « Neltume, cri de liberté où la forêt jaillit des arbres déchus »

Suite au coup d’Etat de Pinochet, le village de Neltume, fiché comme bastion « gauchiste », fut soumis à une violente répression. Les travailleurs et dirigeants syndicaux du Complexe forestier, considéré comme un des foyers de la résistance au régime militaire en place, furent durement persécutés. Menaces, poursuites, arrestations, détentions, tortures, assassinats : la liste des crimes perpétrés par la dictature d’Augusto Pinochet est longue.

C’est également le sort que connurent les combattants de la guérilla Toqui Lautaro en 1982. Ceux-ci, 15 jeunes exilés militants du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire, allié à l’Unité Populaire d’Allende), sont revenus clandestinement dans la région en 1981 pour former un groupe de résistance visant à faire échouer la dictature en place. Les guérilleros se cachaient dans la cordillère attenante au village et bénéficièrent du soutien matériel apporté par de nombreux habitants, mais ils furent victimes de dénonciations issues d’autres habitants. Suite au déploiement vertigineux de forces spéciales gouvernementale et d’une course-poursuite haletante, onze d’entre eux furent détenus, torturés et assassinés.

Aujourd’hui, le territoire de la municipalité de Panguipulli et ses richesses naturelles est en quasi totalité aux mains d’un entrepreneur, Monsieur Peterman. En effet, le Complexe forêt et bois de Panguipulli avait été accaparé par le gouvernement militaire lors de l’ère Pinochet. Au sortir de la dictature, ceci est restitué aux travailleurs sous forme d’actions. Or, celles-ci, couvrant un territoire de 420 000 hectares, furent intégralement rachetées par Peterman.

Ce dernier exploite le territoire au niveau touristique : sites naturels soumis à une entrée payante et développement d’un complexe touristique regroupant hôtel,  boutiques, restaurant et brasserie. Il s’impose dès lors dans une situation de quasi monopole comme employeur sur la municipalité, ce qui lui permet de dicter sa loi et d’exploiter les travailleurs.

D'abord on nous a confisqué nos terres, ensuite ils ont emporté le bois, à présent ils veulent prendre l'eau...

D’abord on nous a confisqué nos terres, ensuite ils ont emporté le bois, à présent ils veulent prendre l’eau…

Aujourd’hui, la municipalité de Panguipulli est confrontée à un mégaprojet hydroélectrique mené par la transnationale Endesa qui menace l’équilibre écologique et le droit des communautés Mapuches, lesquels verront une partie de leurs territoires actuels être engloutis par l’inondation.


Musée communautaire de Neltume

Musée communautaire de Neltume

Aujourd’hui, de nombreux habitants de Neltume et environs réclament le droit de connaître et de faire connaître la vérité sur l’ensemble de l’histoire du village, dans un processus de mémoire et justice. Dans cette perspective, les anciens guérilleros ayant survécus ainsi que les familles et amis de ceux assassinés se sont regroupés au sein du Comité Memoria Neltume : édition d’un livre, agencement d’une salle du Musée et commémoration annuelle en hommage aux anciens guérilleros. Lors de l’une de celle-ci, quelques années auparavant, la maison d’Angelica et Omar a essuyé des tirs d’armes à feu, faisant éclater plusieurs vitres, signe que tout le monde ne voit pas d’un bon oeil que le passé soit ainsi remué. C’est que le travail de mémoire et de justice est loin d’être achevé au Chili : dans le village de Neltume se côtoient anciens persécutés et anciens persécuteurs.

Neltume : une histoire de luttes, de résistances, de trahisons, de réussites et d’échecs… une quête historique et identitaire face aux choix à opérer quant au modèle de développement souhaité – à l’image des questionnements et dynamiques qui traversent le pays.

– – –

LUTTES MAPUCHES

mapuches

Difficile de passer par la région des lacs sans évoquer la lutte des peuples amérindiens Mapuches qui est particulièrement active dans le coin. Les Mapuches réclament la restitution de leurs terres ancestrales, la libération de leurs prisonniers politiques, et plus largement, le droit de vivre dans la dignité. Ils dénoncent une criminalisation de leur lutte politique. La répression dont ils sont victimes et la vivacité de leur lutte a attiré le regard et le soutien de nombreux mouvements sociaux et politiques chiliens à leurs égards : les Mapuches sont aujourd’hui un symbole de lutte contre un ordre économique et politique oppresseur, hérité de l’Histoire du Chili.

Pour ma part, je n’ai pas encore eu l’occasion de côtoyer ce mouvement de près, hormis plusieurs discussions avec des membres des communautés Mapuches.

Plus d’infos?
« Les luttes du peuple Mapuche » – dans : Chili : Etats des lieux, état des luttes (1/3), Le Monde Libertaire, n°1669, avril 2012 : http://www.monde-libertaire.fr/international/15656-les-luttes-du-peuple-mapuche-chili-etat-des-lieux-etat-des-luttes-3/3

– – –

Plus d’infos ?    Voici quelques liens :

– Red por la Defensa de la Precordillera : www.redprecordillera.cl (en espagnol)

– ** Film sur Violeta Parra : Violeta se fue a los cielos (co-production Chili, Argentine, Brésil, 2011) : http://www.violetalapelicula.cl

– Le Musée communautaire de Neltume sur Facebook : Museo Neltume

– Histoire de Neltume relatée par un site dédié à la mémoire du MIR :  http://www.memoriamir.cl/pagina/neltume.htm 

– Comité Memoria Neltume, Una historia de lucha y resistencia en el sur chileno, 2003 : livre consacré à l’histoire de la guérilla Toqui Lautaro.

– Sur le coup d’Etat du 11 septembre 1973 contre le gouvernement de Salvador Allende : excellent documentaire réalisé par Patricio Guzman, Salvador Allende (2004)

Publicité

2 réflexions au sujet de « Acte I – De Santiago à la région des lacs chiliennes, un Chili en quête historique et identitaire »

  1. Merci pour toutes ces informations chiliennes et…pour le moyen de savoir où tu es!
    En Corrèze, nous nous préparons à recevoir un paysan brésilien de la Commission Pastorale de la Terre, partenaire du CCFD, qui est menacé de mort depuis 2011. Il milite pour que les paysans aient accès à la terre qui leur permettra de vivre! C’est scandaleux, n’est-ce pas!!!
    Amitiés.

    • Je ne connais pas la Commission pastorale de la Terre, je vais donc me pencher sur le sujet. En revanche, j’ai pu voir au Brésil que la lutte pour l’accès à la terre est fortement réprimée et criminalisée par les autorités.
      Salutations à toute l’équipe du CCFD AL, dont un spécial pour toi!

Envie de réagir, d'hurler, d'applaudir, ... ? Laisse un commentaire !

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s