Lettre ouverte au cyclovoyageur allemand dont le voyage a pris tragiquement fin ce 28 mars 2013 en Terre de Feu argentine

[CASTELLANO] « Carta abierta a Richard Glotzbach, viajero ciclista alemán, cuyo viaje finalizó trágicamente este 28 de marzo del 2013 en Tierra del Fuego argentina »

Trás la muerte trágica de Richard, escribí una carta abierta que fue publicada en varios medios de comunicación – principalmente locales de Tierra del Fuego. Además de un homenaje a Richard Glotzbach, tiene la vocación de ser una voz de alarma frente a la inseguridad que padecen en la ruta ciclistas y usuarios vulnerables.

–> Aquí pueden descargarla (formato pdf) :

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[FRANÇAIS] « Lettre ouverte à Richard Glotzbach, cyclovoyageur allemand dont le voyage a pris tragiquement fin ce 28 mars 2013 en Terre de Feu argentine »

Suite au décès de Richard, j’ai rédigé cette lettre ouverte qui a été publiée dans plusieurs médias – essentiellement locaux. Outre un hommage à Richard Glotzbach, elle a pour vocation d’être une sonnette d’alarme face à l’insécurité routière dont sont victimes cyclistes et usagers faibles.

De l’avis de nombreux cyclovoyageurs ayant sillonné le continent américain – dont le mien, l’Argentine est un des pays où l’on se sent le moins respecté en tant que cycliste. Les statistiques tendent à confirmer ce ressenti. C’est dans ce contexte que s’inscrit cette carte.

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bici

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Ce jeudi 28 mars 2013 au matin, tu as quitté le village de Tolhuin en me souhaitant un bon voyage. Tu as enfourché ta bicyclette chargée de sacoches et tu as disparu au coin de la rue. L’après-midi de ce même jour, ton voyage a pris fin pour toujours. Renversé par un mobil-home sur la route 3 qui traverse la Terre de Feu. Une fin brutale et tragique.

Tu avais initié ton voyage en Amazonie brésilienne, étais descendu jusqu’à l’extrême sud du continent et entamais à présent ton ascension en direction de l’extrême nord. Tu as quitté cette planète en plein accomplissement de ce rêve que le commun des mortels qualifie de « folie ». Certains pensent que nous appartenons à une espèce hors norme, nous, les cyclovoyageurs, atteints d’un brin de folie qui nous amène à prétendre sillonner le monde à bord de cet engin à deux roues dont l’unique moteur est notre énergie corporelle. Pourtant, nous sommes nombreux de par le monde à adopter la bicyclette pour nos déplacements, ne serait-ce que pour nous rendre au coin de la rue.

Cet amour commun pour la « petite reine » crée un lien sacré qui unit les cyclistes de tous horizons. C’est pour cela que cette tragédie me bouleverse et que j’ai décidé de prendre ma plume.

Pour hurler ma colère. Pour que ton décès ne soit pas vain.

Ce serait une rafale qui t’aurait projeté sur la route, au moment où un mobil-home entendait te dépasser. Nous savons tous que le nÅ“ud du problème n’est pas le vent qui soufflait violemment ce jour-là, comme il est capable de le faire en Patagonie. Le nÅ“ud du problème, dans notre quotidien de cycliste, c’est l’insécurité criante dont nous sommes victimes sur les routes. Adeptes de la petite reine, nous avons tous vécu un jour ou l’autre cette expérience traumatisante de sentir que l’on est passé à deux doigts de la fin parce qu’une voiture nous a frôlé d’un peu trop près, un peu trop vite. Et sur ces routes rectilignes de la pampa patagonienne, c’est souvent à plus de 150 km/heure que l’on nous dépasse.

Ce corps inerte étendu sur la route aux côtés d’une bicyclette déformée par le choc, cela aurait pu être le mien. Cela aurait pu être celui de n’importe quel cycliste, nombreux sur les routes argentines… et du monde.

Je ne blâme pas le conducteur du mobil-home en particulier, l’enquête n’a pas encore révélé tous les tenants et aboutissants de l’accident. Mais cet évènement tragique ravive ma colère face à l’insécurité dont nous sommes victimes, nous, cyclistes et usagers faibles. Les causes sont multiples. Certes, nous sommes confrontés à un manque scandaleux d’infrastructures appropriées. Dans le cas des cyclistes, il s’agit de pistes cyclables, de signalisation et plus globalement, d’une prise en compte des cyclistes dans le cadre de l’aménagement urbain et des voies routières.

Mais ce qui fait avant tout et surtout cruellement défaut, c’est une prise de conscience de la réalité qui est la nôtre. J’entendais les discussions ayant suivies l’accident pour définir si le vélo roulait sur la route ou sur le bas-côté (non goudronné). Mais un vélo a pleinement le droit de se trouver sur la route, de rouler sur un revêtement correct. Un vélo a sa place dans la circulation : « Nous ne bloquons pas le trafic, nous sommes le trafic », tel le slogan des « masses critiques ».* Autre chose : il faut sans doute avoir parcouru les routes à vélo pour prendre conscience de la sensation d’angoisse et de vulnérabilité terrible engendrée par un véhicule motorisé qui nous dépasse à un mètre de distance (ou moins) et souvent en faisant hurler son klaxon. Quand bien même le conducteur pense respecter une vitesse convenable, la différence de vitesse entre les deux véhicules crée l’impression que le véhicule fonce.

Enfin, il y a ces conducteurs qui, une fois installés derrière un volant, le pied sur la pédale d’accélérateur, se sentent gagnés par un sentiment de puissance et d’omnipotence. Une bagnole, une accélération : c’est cela qui les font se sentir exister dans cette société compétitive où on voue un culte au bien matériel et à la vitesse. Est alors considéré comme un intrus quiconque aurait le malheur de se trouver sur leur passage et qui les contraindrait à devoir lever le pied. Ils omettent que notre carrosserie à nous, cyclistes, c’est notre peau.

Cette réalité est de mise de par le monde. Elle est particulièrement flagrante en Argentine.

Après avoir passé plusieurs mois à sillonner en deux roues ce merveilleux pays, je ne suis pas parvenue à percer ce mystère paradoxal : comment les argentins peuvent-ils avoir si bien saisi l’importance de prendre le temps de vivre – illustré notamment par le précieux rituel social du maté – et l’appliquer si peu lorsqu’ils tiennent entre leurs mains le volant d’une bagnole ?

En Argentine, chaque jour, 22 personnes perdent la vie dans des accidents de la route. Ils sont environ 8 000 chaque année et 120 000 à se retrouver blessés. Le pays détient un des indices de mortalité due à des accidents de la route les plus élevés au monde, proportionnellement au nombre de véhicules en circulation. Selon une étude réalisée en 2002, sur l’ensemble des victimes de la circulation routière, 72 % appartiennent à la catégorie des usagers dits vulnérables : 44 % sont des piétons, 15 % des deux roues motorisées et 13 % des cyclistes (source : Luchemos por la Vida, http://www.luchemos.org.ar).

Décès résultants d’accidents de la route (pour chaque million de véhicules)

graphique

Pays : Suède – Holande – USA – Espagne – Argentine
Source : Luchemos por la Vida, http://www.luchemos.org.ar

Aujourd’hui, j’ai envie de hurler : À quand le renversement de cette « loi de la jungle » où le plus gros écrase le plus petit ? À quand un monde où les différents usagers cohabitent dans un respect mutuel et où l’usager vulnérable bénéficierait d’une bienveillance et d’une priorité accrue ? À quand une réelle prise de conscience citoyenne sur les routes… et au-delà ?

Combien de tragédies comme celle de ce 28 mars seront-elles nécessaires ?

Et si nous faisions en sorte que celles-ci soit la dernière ?

Pour que ton décès ne soit pas vain. Pour que cette tragédie soit la flamme qui éveille une révolution des consciences… et des actes. Afin que, où que tu sois, tu puisses reposer en paix.

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* Les « masses critiques » sont des manifestations cyclistes au cours desquelles les cyclistes circulent ensemble au sein des villes, affirmant leur place au sein de la circulation. L’objectif est de mettre l’accent sur la place du vélo comme moyen de transport fondamental au sein des zones urbaines.

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[FR] Médias ayant publié/relaté la lettre ouverte –
[CAST] Medios que publicaron/relataron la carta abierta :

  • Diarios papel/online locales – Presse locale papier/online : NotiTDF, Sello Fueguino, Diario Radio Polar, Patagonia Wouk
  • Page hispanophone axée sur le cyclisme : Amigos del Ciclismo
  • Radios locales : Fueguina la 97, FM Lago, Radio Polar
  • TV locale – Telé local : TV Lago
  • Et une large diffusion nationale sur Facebook / Y una amplia difusión nacional en Facebook
patagoniawouk

[FR] Résultats ? De nombreux mails reçus de la part de lecteurs ayant été interpellés. Plusieurs sont venus à la boulangerie où j’étais hébergée dans le village de Tolhuin (Maison de cyclistes Panadería La Unión) et se sont ainsi créés des discussions et débats constructifs et passionnants. En espérant que cela aie été au moins un grain de sable contribuant à éveiller les consciences.

amigos del ciclismo[CAST] Repercusiones ? Muchos correos electrónicos recibidos de parte de lectores. Algunos vinieron a la panadería donde estaba alojada en el pueblo de Tolhuin (Casa de ciclistas Panadería La Unión) y así se instaláron discusiones y debates constructivos y apasionantes. Ójala habrá sido por lo menos un grano de arena que contribuyó a despertar las conciencias.

8 réflexions au sujet de « Lettre ouverte au cyclovoyageur allemand dont le voyage a pris tragiquement fin ce 28 mars 2013 en Terre de Feu argentine »

  1. Encore un combat pour la vie. Toujours et partout que l’homme respecte l’autre. Toi et d’autres participent à soutenir l’idée, continuons. Bonne route.

  2. Hola Maud,con tristeza me enteré del fin trágico de un paisano igual de aventurero como tú.Aprecio tu solidaridad tomando la iniciativa escribiendo la carta abierta para crear consciencia. Aquí el hotel sigue abierto para cuando regreses a la capital.Tuvimos una pareja amigos de muchos años de Caracas, que tuvieron que regresar a votar en las elecciones presidenciales de hoy. Hoy viene mi sobrina de Hamburgo que está de visita por Argentina. No tan tan aventurera como tú, pero Fé la inscribió en una carrera de 10kms el próximo fin de semana.Esta semana todavía les toca ponerse en forma para el gran día. Te mandamos mucho cariño y te deseamos muchas lindas aventuras Fé, Fabio, Lino y Gerardo Date: Sat, 13 Apr 2013 23:49:46 +0000 To: g.duwe@hotmail.com

  3. Hier, je particpais, à Ussel, à une journée « pour vivre la fraternité » , en particulier avec les plus fragiles: malades, handicapés, gens du voyage, etc…avec presque trois cents personnes de la région. Ta lettre ouverte nous invite à réellement vivre cette fraternité sur la route et c’est d’autant plus difficile que nos voitures nous donnent l’impression de détenir un certain pouvoir qui peut être mortel pour les plus fragiles. Merci de nous sensibiliser à cet aspect des relations humaines. Prends soin de toi. Amicalement. Marie-Jo

  4. Ventre noué et rage partagée. Envie aussi de te serrer dans mes bras et apaiser cette colère bien légitime mais tu as déjà pris le parti d’en faire quelque chose de positif et ton article en témoigne. Bravo à toi Maud et pensées chaleureuses à tous ceux qui ont croisé Richard Glotzbach.

  5. Merci Maud pour cette lettre qui dit si bien cette trouille que nous avons connu sur les routes. Quelle tristesse… Vivement la prise de conscience des argentins, nous garderons un souvenir très mitigé des routes de leur pays. Quelle dommage qu’un peuple si chaleureux soit si con au volant d’une bagnole ! Bonne route, on attend de tes nouvelles (Skype, mail….). Bisous.

  6. Merci Maud pour ce témoignage qui fait froid dans le dos. Nous ne sommes rien à vélo contre ceux qui roulent « encagés » dans leur véhicule. Même en France…

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